Juillet 1997
La scène se déroule en Ardèche, dans un joli camping installé sur le site d’un vieux château. Chaque semaine, les vacanciers se voient octroyer le droit de participer à l’incontournable “soirée dansante”, véritable institution dans de nombreux établissements et particulièrement celui-ci.
Jusque là, je n’avais pas encore vraiment dansé de ma vie. Mes expériences se résumaient à deux ou trois boums organisées pour des anniversaires de copains, où l’on sautillait vaguement quelques minutes avant de s’asseoir, un peu gênés, en espérant ne pas avoir à se relever pour prendre part à un slow.
Lors de cette soirée dansante de juillet donc, rien ne présageait que les choses allaient s’améliorer. Le DJ enchaînait les tubes usés jusqu’à la corde, des chansons de zouk ou de disco déjà ringardes depuis dix ans et tout ce qui pouvait plaire au touriste moyen un peu arrosé. Une vraie ode au trémoussage de short et au balancé de claquettes. J’étais là, avec ma cousine et quelques copains qu’on s’était faits trois jours plus tôt, à jeter des regards mi-affligés, mi-amusés à la foule. On devait chercher comment aborder cette étrange procession qui se dandinait sur du Claude François ou du Émile et Images.
Une partie de moi-même crevait d'envie de rejoindre la fête et gigoter comme tout le monde. Ils avaient bien l'air de s'amuser, ces gens ! Moi aussi je voulais m'amuser, alors ! C'est pas si simple de s'éclater quand on fait partie de la caste des pré-ados frêles et victimes ! D’un autre côté, je trouvais ça trop stupide ; quelque chose m’empêchait de me lever pour fouler le dancefloor de mes baskets (j'avais du mal à me pointer en tongs en public). Et en y regardant de plus près, une bonne portion des danseurs n'avaient d’ailleurs pas du tout l'air de passer un bon moment. J’ai fini par comprendre ce qui clochait. La musique ! Bien sûr !
Impossible de ne pas passer pour le gars le plus ridicule du monde sur des sons pareils ! Heureusement, tout a changé vers 22h30. Le mec en charge de la playlist a dû en avoir sa claque aussi de se coltiner Boney M et Gilbert Montagné. Il a fait passer l'assistance dans une autre dimension, une dimension nommée Da Funk. Bam ! Terminée, la variété insipide ! Claclac ! Dégagée, la pop dégoulinante de mièvrerie ! Place à la house et à la techno ! Un truc dont je n'avais encore jamais entendu parler mais qui m'a fait comme un déclic. Là-dessus, plus besoin de puiser dans des ressources inespérées pour danser. L'assemblée, jusqu'alors composée de beaufs apathiques, s'est transformée en une armada de gamins survoltés. Et les adultes se sont regardés dans le blanc des yeux, médusés.
Da Funk, de Daft Punk. Riff lancinant de guitare saturée, rythmique lourde et entêtante, entre autres sons indéfinissables, agressifs, torturés, et pourtant vecteurs d’une énergie incroyable. Rien à battre du regard des autres ! Ne m'emmerdez pas ! Là, tout de suite, il faut que je lève le poing ou que je frappe du pied à chaque beat qui fait vibrer ma cage thoracique ! Mon corps est entré en transe, pour n’en ressortir que cinq minutes plus tard, à la fois lessivé et revigoré comme jamais. Il n’était plus question de se divertir, mais de trouver un moyen de canaliser cette force qui électrisait tout mon organisme en entrant par mes oreilles. Allez ! Encore, bordel !
Pour le plus grand bonheur des gosses surexcités que nous étions, le DJ n'en avait pas fini avec nous. Le reste de la soirée s’est déroulée dans le même genre d’extase, sans que je puisse me souvenir des autres morceaux qui s’y sont succédés. Tout ce dont je me rappelle, c'est mon oncle le lendemain, qui annonce devant toute la famille que j'ai dansé comme un chef. Il n'était pas super à l'aise, le pauvre. Purée Tonton, tu m'étonnes ! Je viens de tomber amoureux de la techno, tu te rends compte de la révolution que c'est, ou bien ? Aujourd'hui encore, c'est ce même style de danse déglinguée qui fait rire des dizaines d’idiots. Y en a toujours pour se bidonner dès que je passais dans cet espèce d'état second en soirée. Avant ça me rendait un peu triste. Maintenant j'en tire une fierté un poil prétentieuse. Je les plains, tous ces branlos ; c’est qu’ils n’ont jamais eu la chance de vivre un truc de dingue pareil, jamais atteint cet état de béatitude si caractéristique. Eh ! Tant pis pour leur gueule.
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