Hooverphonic - 2 Wicky

 

Hiver 1998,

Je suis chez ma tante, la sœur de mon père. On passe le week-end chez elle, comme souvent quand je vois mon papa. La tradition du samedi soir, c’est de regarder une émission à la con à la télé ; le genre de bouse présentée par Patrick Sébastien ou Michel Drucker. Pas trop mon délire mais bon, on s’amuse quand même un peu alors je ne vais pas me plaindre. Ensuite, tout le monde va se coucher. Moi, j’ai pas envie de dormir, alors j’essaie de m’occuper dans la chambre que je squatte. C’est celle de ma cousine, qui est aussi ma grande sœur par alliance (la fille de mon beau-père, c’est un peu compliqué). Pour faire simple, je la considère surtout comme ma grande sœur. Elle n’est pas là, donc les discussions jusqu’à pas d’heure sont exclues. J’aime bien fouiner un peu dans sa piaule, je sais qu’elle n’en m’en veut pas quand je le fais. J’ouvre ses bouquins, j’en lis quelques pages, je regarde les photos d’elle et ses potes de lycée… j’écoute sa musique aussi.


Justement, je regarde ce qui traîne dans sa chaîne hi-fi : une cassette que mon oncle mélomane m’a offerte mais que ma sœur m’a piquée, parce que je ne l’avais pas encore écoutée. L’album A New Stereophonic Sound Spectacular, du groupe Hooverphonic (qui s’appelait encore Hoover à l’époque). Aucune idée de ce que c’est ; allez, je teste ! Le premier morceau est pas mal, mieux que ça en vérité. Mais le titre suivant l’a tellement éclipsé lors de cette soirée solitaire, que je n’en ai saisi la beauté que des semaines plus tard. Seconde piste : 2 Wicky, donc. Un pur bijou de trip-hop mélancolique, porté par Liesje Sadonius et sa voix éthérée. Une rythmique lourde, quelques notes de guitare cosmique et des nappes de synthé aux frontières inexplorées… sans parler du final en apothéose, comme une apocalypse qui apporterait autant de bonheur que de tourments. Je suis aussitôt tombé amoureux de cette chanson (et de Someone aussi, la neuvième de l’album, qui possède une structure similaire), percuté en pleine poitrine par sa puissance émotionnelle. Je suis resté les yeux écarquillés, à fixer le vide et en me répétant : ”Mais comment c’est trop beau !”


C’est la dernière cassette qu’a écoutée ma sœur-cousine avant de quitter la maison cette semaine-là. Je ne me souviens plus où elle a passé le week-end. Par contre, je me rappelle très bien de cette ambiance pesante, cette angoisse planante qui saturait sa chambre. Elle n’allait pas bien, je le savais déjà, on parlait de son mal-être depuis toujours. Je ne savais pas ce qui la taraudait, et elle non plus, pas vraiment. Mais cela ne l’empêchait pas de chercher mon soutien moral et de partager sa tristesse. On a appris plus tard d’où cela venait, de son prédateur de père, qui lui a volé son enfance. Mon salaud de beau-père. Bref, 2 Wicky accompagné ma sœur dans sa douleur à ce moment-là. J’ai été saisi d’une profonde détresse ce samedi soir de janvier ou février 1998 ; parcouru par ce sentiment de malaise bizarre qui prend aux tripes la plupart des adolescents, parfois pour aucune raison. Je découvrais aussi que la bonne musique, jouée au bon moment, pouvait agir comme le meilleur des remèdes à ce spleen irrationnel (ou au contraire, on ne peut plus normal). Je crois que depuis, je préfère toujours les chansons tristes aux autres.


Si je devais me faire une playlist de dix morceaux à embarquer sur une île déserte, 2 Wicky serait dedans, sans la moindre hésitation.



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