Native - Si la Vie Demande ça

1994

Il doit être neuf ou dix heures du matin, je suis installé devant la télé. À cette époque, le seul écran de l’appartement se trouve dans la chambre de ma mère et de mon beau-père. Moins je passe de temps dans cette pièce, mieux je me porte, mais c’est l’une de ces fois où j’outrepasse mon dégoût pour m’adonner à l’un de mes passe-temps favoris : jouer à la console, à Populous sur Sega Megadrive, plus précisément.

Je m’éclate bien. Pas plus que d’habitude, mais c’est cool. Mon beau-père est absent ; j’ai oublié la raison mais je sais que je vais être tranquille pour les heures à venir. Ma mère est occupée dans le salon, peut-être à ranger des trucs, peut-être à corriger des copies d’élèves… il y a des feuilles de papier qui bougent, des classeurs qui s’ouvrent… son affairement produit un effet apaisant sur moi.

Quelques minutes plus tard, ma maman met un CD dans la chaîne hifi. Un nouvel achat, probablement. La première chanson se lance : Si La Vie Demande Ça, de Native. Et là, il se passe un truc. Ce moment agréable mais relativement banal se gorge de magie. Les rayons du soleil illuminent l’appart. Les vacances d’été ne sont pas loin et le meilleur de l’année arrive : les jeux en extérieur avec les potes, le voyage habituel dans le sud de la France…

J’ai neuf ans et j’ai l’éternité devant moi pour m’amuser, dessiner, inventer des histoires de dingue avec mes Lego et mes dinosaures, m’éclater devant de nouveaux jeux vidéo chez mon cousin, me coucher tard après avoir discuté pendant des heures avec ma grande sœur dans nos lits superposés. J’ai compris plus tard que j’avais vécu l’un des meilleurs moments de ma vie, traversé que j’étais par une énergie positive sans limites. Une énergie produite par cette chanson précise, jouée à cet instant précis, en ce jour d’été 1994. 

Ambiance impossible à reproduire, de manière volontaire ou non. J’ai essayé pourtant, mais trop tard, des années trop tard. La magie n’opérait plus depuis longtemps. D’autres instants fugaces comme celui-ci, touchés par une grâce quasi-divine, il y en a eu d’autres, mais jamais aussi puissants. Quand les machines à remonter le temps existeront, je demanderai à ce qu’on me ressuscite, puis qu’on me renvoie à cette époque juste pour avoir le plaisir de revivre ce combo improbable de jeu Sega moche mais visionnaire / chanson soul un peu mainstream / rayon de soleil dans l’œil / adrénaline liée à l’anticipation des vacances. Et bien sûr, je prendrai d’interminables bouffées d’air chargées de ces ondes nineties qui me manquent tant (ouais fallait que je case la réf au moins une fois !).

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